La séance est ouverte à seize heures trente-cinq.
M. le président Olivier Falorni. Mes chers collègues, notre commission d’enquête sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français accueille aujourd’hui les représentants de quatre associations de protection animale. Nous recevons M. Christophe Marie, directeur du pôle protection animale et porte-parole de la Fondation Brigitte Bardot, M. Ghislain Zuccolo, directeur général de l’association Welfarm – Protection mondiale des animaux de ferme, Mme Agathe Gignoux, responsable « affaires publiques » de l’association Compassion In World Farming (CIWF) France, et Mme Caroline Brousseaud, cofondatrice et présidente de l’Association en faveur de l’abattage des animaux dans la dignité (AFAAD).
Cette table ronde est ouverte à la presse et diffusée en direct sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale.
Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Christophe Marie, M. Ghislain Zuccolo, Mme Agathe Gignoux et Mme Caroline Brousseaud prêtent successivement serment.)
M. Christophe Marie, directeur du pôle protection animale et porte-parole de la Fondation Brigitte Bardot. Mesdames, messieurs les députés, la Fondation Brigitte Bardot a été créée en 1986, il y a trente ans cette année. Cependant, l’action de sa présidente remonte à une date bien antérieure puisque, dès 1962, elle a obtenu que soit pratiqué un étourdissement des bêtes avant leur abattage. Notre fondation, apolitique et reconnue d’utilité publique depuis 1992, est placée sous la tutelle des trois ministères de l’écologie, de l’agriculture et de l’intérieur, représentés au sein de notre conseil d’administration. Nos financements proviennent de donateurs privés et nous ne percevons pas de subventions publiques.
Nos actions visent à la fois les animaux sauvages et domestiques, en France et dans le monde entier. Nous sommes particulièrement présents sur le terrain aux côtés des services vétérinaires lors des saisies de cheptels laissés à l’abandon et lors des liquidations judiciaires. Nous intervenons également sur les sites d’abattage clandestins, notamment lors de l’Aïd el-Kebir. En décembre 2013, nous sommes intervenus avec les forces de l’ordre pour démanteler un abattoir illégal à La Courneuve, qui alimentait les restaurants asiatiques de Paris dans des conditions inimaginables ; en cette occasion, nous avons saisi plus de 300 animaux. Notre fondation accueille actuellement plus de 3 500 animaux saisis lors d’opérations de ce type. Il s’agit essentiellement d’animaux de ferme – plus de 650 bovins, autant d’équidés, plus de 500 moutons, 200 chèvres et une centaine de cochons – auxquels s’ajoutent, bien sûr, quantité de chiens et de chats.
Si la question de l’abattage fait souvent débat, elle ne doit pas pour autant nous faire oublier celle du transport, lors duquel les animaux sont soumis à un stress intense qui rend plus difficile leur manipulation jusqu’au poste d’abattage. Dans certaines situations extrêmes, les animaux arrivent à destination dans un état de souffrance épouvantable, qui justifie en principe qu’ils soient pris en charge et abattus en urgence. Or, c’est souvent l’inverse qui se passe : on fait passer sur la chaîne d’abattage tous les animaux manipulables et propres, tandis que les animaux blessés durant le transport, qui ont souvent été piétinés par les autres animaux, sont abandonnés dans un coin en attendant leur tour. En octobre 2015, nous avons porté plainte contre l’abattoir Sélection Viande Distribution, situé près de Vannes, où un bovin déchargé le samedi avec une fracture du bassin a souffert durant quarante-huit heures avant d’être enfin abattu le lundi suivant. Cette histoire soulève la question des contrôles, car on ne s’explique pas comment un inspecteur vétérinaire, en principe présent sur les lieux, a pu passer à plusieurs reprises devant un animal à l’agonie sans juger nécessaire d’intervenir.
La présence d’un responsable du bien-être des animaux a été rendue obligatoire dans les abattoirs à compter du 1er janvier 2013 par application d’un règlement européen. Cependant, rien ne garantit ni les compétences ni l’indépendance de cette personne : il peut même s’agir du responsable de l’abattoir, comme c’est le cas au Vigan, dans le Gard. Nous avons demandé à plusieurs reprises à Stéphane Le Foll de renforcer les équipes vétérinaires qui, actuellement, contrôlent davantage les carcasses que les conditions de mise à mort des animaux. Il a répondu publiquement le 5 avril dernier, lors de la réunion exceptionnelle du Conseil national d’orientation de la politique sanitaire animale et végétale (CNOPSAV), qu’il ne disposait pas des moyens financiers nécessaires pour mettre en œuvre ces contrôles supplémentaires. Cette réponse ne saurait nous satisfaire, car elle va à l’encontre de l’arrêté du 12 décembre 1997 qui dispose que, dans les abattoirs, les conditions d’immobilisation, d’étourdissement, d’abattage et de mise à mort des animaux sont placées sous la surveillance continue des agents du service d’inspection, qui s’assurent notamment de l’absence de défectuosité des matériels utilisés et de l’utilisation conforme de ces matériels. Sur ce point, je rappelle ce qui s’est passé à l’abattoir de Mauléon-Licharre, dans les Pyrénées-Atlantiques, où une vidéo a montré un employé obligé d’assommer un agneau en lui assenant des coups de crochet, le système d’étourdissement n’étant pas fonctionnel : un problème matériel comme celui-ci aurait dû être détecté avant la mise en œuvre de la chaîne d’abattage.
Depuis plusieurs années, nous réclamons la mise en place de caméras de surveillance dans tous les abattoirs, en particulier sur les postes sensibles, de la manipulation à la mise à mort des animaux. Cela nous paraît important pour trois raisons. Premièrement, le rôle de prévention d’une telle mesure : se sachant observé ou contrôlé, le personnel va réfléchir à deux fois avant de commettre un acte répréhensible. Deuxièmement, les vidéos enregistrées par les caméras pourront servir à des actions de formation continue, lors desquelles seront identifiées les pratiques posant problème, pour le bien-être animal mais aussi pour le personnel, car le taux d’accidents du travail des employés d’abattoirs est très supérieur à celui de la moyenne nationale : la prise en considération des bonnes pratiques dans le cadre du droit du travail constituerait une grande avancée. Troisièmement, enfin, les images enregistrées par les caméras pourront constituer des preuves des actes répréhensibles pouvant avoir été commis par les employés.
Indépendamment de toutes les mesures de contrôle et de formation qui pourraient être mises en œuvre, reste un problème essentiel, celui de l’abattage sans étourdissement préalable : dans le cadre de l’abattage rituel, l’animal n’est pas étourdi et l’égorgement à vif entraîne une souffrance, mise en évidence par de nombreuses études scientifiques, et que nous jugeons inacceptable et même injustifiable. J’accompagnais Brigitte Bardot lorsqu’elle a été reçue par le recteur Dalil Boubakeur à la Grande Mosquée de Paris en 2004, puis par Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur, en 2005, enfin par le même, Président de la République, en 2007. Nous sommes ressortis confiants de chacune de ces réunions, constatant qu’il ne semblait y avoir aucune opposition réelle à la mise en place de l’étourdissement préalable. La charte de la mosquée d’Évry mentionne explicitement que l’étourdissement, dès lors qu’il est réversible, est accepté. Or, la réversibilité de l’étourdissement des ovins a été confirmée par l’Académie vétérinaire de France en 2006, dans un rapport remis aux ministères de l’agriculture et de l’intérieur. Pour ce qui est des bovins, j’ai moi-même assisté à des reprises de conscience dans des pièges de contention électrifiés utilisés dans de nombreux pays, mais pas encore en France.
En résumé, dès lors que le culte n’est pas opposé par principe à l’étourdissement réversible, et qu’il existe des méthodes fiables pour le mettre en œuvre, on ne voit pas pourquoi on devrait continuer à s’acharner à égorger des animaux conscients, dans la souffrance. L’étourdissement des bêtes en toutes circonstances est donc l’une de nos deux principales demandes, avec celle consistant en l’installation de caméras de surveillance.
M. Ghislain Zuccolo, directeur général de l’association Welfarm – Protection mondiale des animaux de ferme. L’association Welfarm a été fondée en 1994 et compte 40 000 membres et donateurs, dont 25 000 membres actifs. Sa mission est reconnue d’utilité publique. Elle emploie 23 salariées ayant une certaine expertise, notamment dans le domaine de l’éthologie. Ses principales missions consistent à œuvrer pour obtenir de nouvelles réglementations pour le bien-être des animaux d’élevage, mais aussi pour que ces réglementations soient bien appliquées.
En matière de transport des animaux, nous avons édité une brochure présentant la réglementation destinée à protéger les animaux en cours de transport, qui a été distribuée à toutes les gendarmeries de France ; par ailleurs, nous formons régulièrement les gendarmes à cette réglementation, au sein des escadrons de sécurité routière.
Nous œuvrons également à la valorisation des bonnes pratiques et des initiatives des éleveurs, de l’industrie agroalimentaire et de la distribution, qui visent à une meilleure protection des animaux d’élevage. Nous menons une action éducative auprès des plus jeunes, mais aussi des ingénieurs agronomes. Enfin, nous exploitons une ferme éducative de 44 hectares dans la Meuse.
Nous avons constaté que les vidéos diffusées par l’association L214 Ethique et Animaux mettaient en évidence des problématiques de quatre ordres, pouvant être liées aux aménagements inappropriés pour la conduite des animaux ; aux dysfonctionnements des matériels utilisés pour la mise à mort des animaux ; au comportement de certains employés ; enfin, à des défaillances dans le processus de contrôle du respect de la réglementation. Les vidéos ont également mis en évidence le fait que certains procédés d’étourdissement ne sont pas efficaces, et montré que la pertinence de certains signes indicateurs de perte de conscience fait débat.
Nous considérons que, lorsqu’on s’intéresse au bien-être de l’animal en abattoir, il faut partir du point de vue de l’animal, qui a sa propre perception de l’environnement, bien différente de la nôtre. Je rappelle que tous les animaux d’élevage descendent d’animaux sauvages : ainsi la vache descend-elle de l’aurochs. Pour que la conduite des animaux au sein des abattoirs se fasse dans les meilleures conditions, il convient de faire appel à des notions d’éthologie. En quittant la ferme où il a été élevé pour partir à l’abattoir, l’animal quitte un lieu familier pour se retrouver dans un milieu inconnu, donc stressant.
Lors des trois étapes constituant le parcours de l’animal à l’abattoir – l’arrivée et l’attente en bouverie, la conduite des animaux au poste d’abattage et le processus d’abattage proprement dit, il importe de faire en sorte que l’animal soit le moins stressé possible. Lorsque les animaux arrivent, l’idéal est que les quais de déchargement permettent d’abaisser l’arrière du camion et de laisser la rampe à plat, car le fait de devoir passer par une rampe trop pentue provoque souvent des accidents. Lors de la phase d’attente, il faut éviter de mélanger différents lots d’animaux, car cela peut créer des interactions agressives ; il faut aussi que les animaux puissent se coucher tous en même temps ; pour les porcs, qui ne transpirent pas et régulent donc difficilement leur température, il est bon de prévoir des brumisateurs afin d’éviter qu’ils soient victimes de coups de chaleur. Lors de la manipulation, les contacts directs avec les animaux doivent être évités, car un opérateur ayant peur de l’animal peut être amené à avoir des gestes violents en voulant se protéger : pour cela, il est intéressant de prévoir deux couloirs distincts, l’un réservé à la circulation des animaux et l’autre à celle des opérateurs.
À l’abattoir, trois sens de l’animal se trouvent particulièrement en éveil : l’ouïe, l’odorat et la vue. Pour ce qui est de l’ouïe, l’animal est stressé par les sons forts et aigus : on atténuera donc les claquements de barrières métalliques en garnissant celles-ci de tampons de caoutchouc, et on évitera de crier. Pour ce qui est de l’odorat, les animaux stressés dégagent des phéromones, qui stressent à leur tour les autres animaux. En France, l’Institut de recherche en sémiochimie et éthologie appliquée (IRSEA) commercialise des phéromones apaisantes ; il m’a été précisé que ces substances, régulièrement utilisées dans les élevages et les transports, n’avaient jamais été mises en œuvre dans les abattoirs, mais sans doute y a-t-il là une piste à explorer. Enfin, pour ce qui est de la vue, il faut savoir que les animaux ont peur des impasses et des angles droits : les couloirs incurvés permettent de résoudre cette difficulté, car l’animal qui s’y trouve suit celui qui est devant lui sans être stressé par ce qu’il pourrait voir plus loin. Par ailleurs, il est conseillé d’éclairer le poste d’abattage, car les animaux ont tendance à se diriger instinctivement vers l’endroit le plus éclairé.
Dans le poste d’abattage, l’un des points importants est la contention. Dans l’une des vidéos de L214, l’absence de mentonnière est à l’origine des difficultés que rencontre l’abatteur à étourdir l’animal. La mentonnière ne sera obligatoire qu’à partir de 2019 mais, dans l’intérêt du bien-être animal, il serait bon que la France devance cette échéance. Il arrive aussi que les appareils électriques se dérèglent, délivrant trop ou pas assez de puissance. Le temps d’imposition de la pince doit être suffisant et la puissance du courant doit être adaptée. J’ai visité récemment un abattoir de lapins en Belgique, où le directeur avait installé des témoins lumineux rouges et verts indiquant à l’opérateur à quel moment il pouvait cesser d’appliquer le courant électrique à chaque lapin : un tel dispositif est très intéressant, car la cadence élevée d’abattage peut faire perdre la notion du temps aux abatteurs.
En matière d’étourdissement, le doute doit toujours bénéficier à l’animal, auquel doit être appliqué un deuxième choc électrique si le premier s’est révélé inefficace – après, bien sûr, avoir recherché les causes de ce premier échec. Jusque dans les années 1990, le matériel destiné à étourdir et abattre les animaux faisait l’objet d’un agrément délivré par le ministère de l’agriculture ; nous regrettons que cette mesure ait été supprimée et nous souhaitons qu’elle soit remise en vigueur.
Mme Agathe Gignoux, responsable « affaires publiques » de l’association Compassion In World Farming (CIWF) France. L’association Compassion In World Farming est une ONG internationale dédiée à la protection des animaux d’élevage, créée en 1967 par un éleveur laitier britannique en réaction à l’intensification de l’élevage. Nous sommes présents en Europe, mais aussi aux États-Unis et en Chine, et actifs en France depuis 2009, et agissons essentiellement au moyen de campagnes visant à sensibiliser les problématiques liées à l’élevage et à proposer des solutions. Nous menons également des enquêtes afin de montrer la réalité de l’élevage et de l’abattage industriels, ainsi que des actions-plaidoyers, visant à faire évoluer les politiques publiques. Enfin, une partie importante de notre travail consiste à conclure des partenariats avec les grandes entreprises, afin de placer le bien-être animal au cœur de l’industrie agroalimentaire.
Je précise que notre action se base sur le travail scientifique mené par notre équipe de recherche, qui nous fournit des conseils techniques et une expertise en matière de bien-être animal. Nous sommes régulièrement sollicités par les acteurs du monde agricole ou agroalimentaire, à qui nous donnons des conseils et des recommandations.
Nous sommes membres de groupes de travail au niveau européen, et dans les États membres où nous sommes présents. En France, nous sommes membres du CNOPSAV et participons à différents groupes de travail. Nous suivons les problématiques du bien-être animal en abattoir dans les pays où nous sommes présents. En France, nous sommes alertés depuis de nombreuses années par les enquêtes réalisées par différentes associations, ainsi que par l’Office alimentaire et vétérinaire (OAV) de l’Union européenne – deux rapports de l’OAV, publiés en 2007 et en 2015, mettent en évidence des problématiques relatives à l’abattage. Enfin, nous exploitons aussi les vidéos de L214, qui corroborent les différents manquements et montrent qu’il ne s’agit pas de cas isolés.
Les problèmes les plus importants qui ressortent de ces différentes sources d’information ont trait au contrôle de l’étourdissement et des signes de conscience – aggravés par les lacunes constatées dans les modes opératoires normalisés, non corrigées par les autorités vétérinaires de l’État ; à l’étourdissement des volailles, qui constitue un gros point noir du rapport de l’OAV de 2015, et nécessite qu’une action soit menée en France à ce sujet ; enfin, à l’étourdissement des porcs au CO2.
L’accent doit être mis sur le contrôle du poste d’abattage, le point essentiel étant la vérification de la perte de conscience. On retrouve des situations récurrentes d’absence d’étourdissement suffisant, de reprise de conscience non corrigée par un étourdissement d’urgence, de délais d’attente trop longs entre l’étourdissement et la saignée, d’absence de mesures correctives et de sanctions appropriées par les autorités. Ces graves manquements, à l’origine de souffrances pourtant évitables, sont totalement contraires au règlement (CE) n° 1099/2009 du Conseil du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort, en vigueur en France depuis le 1er janvier 2013. L’article 3 de ce règlement précise que « toute douleur, détresse ou souffrance évitable est épargnée aux animaux lors de la mise à mort et des opérations annexes » et son article 5 que « lorsque (…) les animaux sont mis à mort sans étourdissement préalable, les personnes chargées de l’abattage procèdent à des contrôles systématiques pour s’assurer que les animaux ne présentent aucun signe de conscience ou de sensibilité avant de mettre fin à leur immobilisation et ne présentent aucun signe de vie avant l’habillage ou l’échaudage ».
Les causes des manquements constatés sont multiples, qu’il s’agisse de l’absence de contrôle au poste de mise à mort – par les abattoirs eux-mêmes, mais aussi par les inspections vétérinaires, les contrôleurs étant concentrés sur les carcasses plutôt que sur les animaux ante mortem. On relève des lacunes en matière de formation et de sensibilisation des personnels et des contrôleurs, l’utilisation de matériels défectueux, inadéquats ou mal réglés. Pour remédier aux anomalies constatées, nous prônons l’installation de caméras permettant la mise en œuvre d’une surveillance continue par des agents de contrôle, essentiellement au poste d’abattage. La vidéosurveillance est mise en œuvre dans plusieurs pays de l’Union européenne. Au Royaume-Uni, c’est le cas dans 53 % des abattoirs de viande rouge et dans 71 % des abattoirs de viande blanche ; ces systèmes sont également présents dans de nombreux abattoirs des Pays-Bas ; ils sont obligatoires depuis 2016 dans tous les abattoirs d’Israël et de l’État indien d’Uttar Pradesh. En France, des caméras ont été installées à titre expérimental dans un abattoir du Nord, et la généralisation du dispositif ne poserait a priori pas de problèmes particuliers. Nous souhaitons qu’il soit rendu obligatoire, tout en étant strictement encadré par un contrôle indépendant.
Les lacunes des modes opératoires normalisés ont été mises en évidence par le rapport de l’OAV de 2015. Nous y voyons un point essentiel, car la structure de la nouvelle réglementation (CE) n° 1099/2009 repose sur la mise en place d’autocontrôles par les modes opératoires normalisés. Elle fait reposer la responsabilité sur les opérateurs des abattoirs, et peut avoir un effet positif à condition qu’elle soit vraiment prise au sérieux par les opérateurs, et surtout par les autorités de contrôle, ce qui n’est malheureusement pas le cas en France. Nous souhaitons donc un renforcement en urgence des procédures d’inspection des modes opératoires normalisés et une meilleure application des sanctions, afin de rendre celles-ci suffisamment dissuasives.
Je voudrais insister sur une problématique peu évoquée jusqu’à présent, celle des méthodes d’étourdissement en abattage de volaille, qui constitue l’un des plus gros points noirs du rapport de l’OAV. La France fait partie des plus importants producteurs de volaille : on abat chaque année 900 millions de volailles dans notre pays, sur un peu plus d’un milliard d’animaux abattus en tout. Les problèmes constatés peuvent avoir deux origines : d’une part, certains paramètres de la réglementation ne suffisent pas à garantir un étourdissement effectif de toutes les volailles au moyen de l’électronarcose par bain d’eau, notamment par application des fréquences élevées autorisées par la réglementation ; d’autre part, les paramètres fixés par la réglementation ne sont pas toujours respectés par les abatteurs, qui réduisent les intensités afin de diminuer l’impact de l’application des courants électriques sur les carcasses – il s’agit notamment de phénomènes hémorragiques et de fractures – ou de garantir la conformité des procédés utilisés à certains rituels. Dans ce dernier cas, l’étourdissement n’est pas suffisant et les volailles sont seulement immobilisées ou paralysées : or, selon l’OAV, l’étourdissement d’une intensité insuffisante « ne fait qu’entraîner une douleur supplémentaire » et un abattage effectué en pleine conscience. Nous estimons donc essentiel de développer l’étourdissement des volailles par méthode gazeuse, comme cela se fait au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Allemagne et dans de nombreux autres pays européens.
L’une des vidéos de L214 met en évidence le fait que l’étourdissement des porcs au CO2, autorisé par le règlement (CE) n° 1099/2009, cause de vives souffrances aux animaux. Les autorités françaises et européennes ont connaissance de ce problème depuis de nombreuses années. La recherche scientifique a montré depuis longtemps que ce mode d’étourdissement provoque des sensations de brûlure et des douleurs aiguës durant quinze à trente secondes avant que le porc ne perde conscience. Il nous paraît donc urgent d’investir dans le développement d’alternatives non aversives.
D’une manière générale, les moyens alloués à la protection des animaux en abattoirs en France sont insuffisants, que ce soit en termes de contrôles ou de manque d’effectifs. Par ailleurs, la réglementation n’est pas toujours compatible avec les cadences appliquées aux chaînes d’abattage, notamment pour ce qui est des volailles.
Mme Caroline Brousseaud, cofondatrice et présidente de l’Association en faveur de l’abattage des animaux dans la dignité (AFAAD). Nous sommes en quelque sorte un « Petit Poucet » associatif, puisque l’AFAAD a été créée par moi-même en juillet dernier. Constatant, en tant que citoyenne et consommatrice, que l’on parlait assez peu des abattoirs et des conditions d’abattage en France, le sujet n’étant évoqué qu’au moment de la fête de l’Aïd et des abattages sans étourdissements auxquels elle donne lieu. M’interrogeant sur la question globale du bien-être animal, j’avais des difficultés à trouver des réponses accessibles au grand public. Aujourd’hui, l’AFAAD est avant tout une association de consommateurs et de citoyens, qui ne dispose d’aucune expertise particulière dans le domaine vétérinaire, et œuvre à l’amélioration des conditions d’abattage en essayant d’aborder les problématiques sous un angle différent pour faire émerger de nouvelles solutions.
Notre association travaille avec l’ensemble des acteurs de la filière de l’abattage, à savoir les éleveurs, les artisans bouchers, les inspecteurs vétérinaires en abattoirs : nous avons ainsi constitué un petit réseau de professionnels qui nous font part de leur expertise et nous suggèrent des améliorations qui pourraient être mises en place. Nous sommes également en relation avec des chercheurs à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et des éthologues, et travaillons dans une logique de co-construction de solutions afin de trouver des alternatives dans le cadre de l’échange et du dialogue.
Nos principales missions consistent en des actions de sensibilisation auprès du grand public sur ce que sont l’abattage et les abattoirs, en mettant l’accent sur ce qui fonctionne mal et ce qui pourrait être amélioré. Nous sommes également très attachés au droit des consommateurs à connaître la méthode d’abattage. Nous travaillons sur le terrain avec des bénévoles, qui vont parler des abattoirs, et avons commencé à structurer notre action en la répartissant entre des pôles régionaux. Par ailleurs, nous collectons de nombreux témoignages, provenant notamment d’éleveurs ou d’artisans bouchers, que nous diffusons sur notre site web.
L’AFAAD souhaite la mise en place d’un étourdissement systématique de tous les animaux et, d’une manière générale, la prise en compte du bien-être animal. Faute d’une évolution réglementaire en France, nous demandons expressément que le soulagement obligatoire post-jugulation de l’animal puisse être assuré dans les secondes qui suivent l’égorgement – c’est ce que l’on appelle un étourdissement de soulagement, pratiqué afin de ne pas laisser un bovin agoniser durant de longues minutes avec la gorge tranchée. Nous souhaitons également que l’électronarcose réversible soit développée et pratiquée en bonne entente avec les autorités concernées.
S’agissant des contrôles dans les abattoirs, nous sommes pour la mise en place d’une vidéosurveillance systématique aux postes d’abattage, qui nous semble une solution intéressante au manque d’effectifs en inspecteurs vétérinaires. Nous soutenons également la proposition consistant à permettre aux éleveurs d’accéder aux abattoirs. Il s’agit là d’une demande de plus en plus forte de la part des éleveurs, qui regrettent de ne pouvoir assister à la mort de leurs animaux s’ils le souhaitent. Nous suggérons donc qu’un contrat soit mis en place entre les responsables d’abattoirs et les éleveurs, garantissant à ces derniers au moins trois visites inopinées par an lorsque la chaîne d’abattage est en fonctionnement.
Un volet pratique doit absolument être ajouté à la formation, uniquement théorique pour l’instant, dispensée aux opérateurs d’abattage. Des sanctions dissuasives et effectives doivent être mises en œuvre.
Une autre disposition qui nous tient à cœur consisterait en la création de comités d’éthique au sein des abattoirs. Ce n’est pas nous qui l’avons imaginée, mais M. Laurent Lasne, président du Syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire (SNSPV), qui sera auditionné prochainement par votre commission. Des comités d’éthique statuent déjà dans le cadre des expérimentations animales. Ils rassemblent des membres de la société civile, pouvant garantir un regard totalement extérieur et sans a priori sur une activité sensible et constituant une sorte de garde-fou. En ce qui concerne l’abattage, on peut imaginer que les comités associent les responsables d’abattoirs, les services officiels d’inspection vétérinaire, des représentants des éleveurs, des associations de protection animale et des élus locaux. Cela permettrait d’augmenter la visibilité et de mettre en œuvre un travail commun pour l’amélioration des bonnes pratiques.
Nous sommes favorables au développement des abattoirs mobiles et de l’abattage à la ferme. C’est l’un des premiers dossiers que nous ayons ouverts en intégrant un collectif pluridisciplinaire créé l’année dernière et piloté par Mme Jocelyne Porcher, de l’INRA, dans le cadre de la recherche d’actions innovantes. D’autres associations de protection animale viennent de rejoindre ce collectif, ce dont nous nous félicitons. Nous sommes actuellement en train de structurer un cahier des charges très détaillé et menons un important travail de benchmarking au niveau des pays européens, afin de promouvoir les bonnes pratiques mises en œuvre à l’étranger – de ce point de vue, l’exemple suédois semble très intéressant. Cela permet de pallier la baisse du nombre d’abattoirs, notamment en raison de la fermeture d’abattoirs de proximité, de réduire le transport à zéro pour les animaux vivants, d’éviter que les animaux ne soient manipulés par des inconnus et de répondre à la demande morale des éleveurs souhaitant accompagner leurs animaux jusque dans la mort.
Nous plaidons en faveur d’un étiquetage indiquant systématiquement la méthode d’abattage employée, assurant une plus grande transparence et un accès plus facile à toutes les informations administratives de nature à nous permettre d’établir un benchmark des abattoirs selon des critères de bientraitance animale, comme cela se fait pour l’aspect sanitaire – sur ce point, ils sont classés de 1 à 3. Pour cela, il serait intéressant d’obtenir des statistiques sur le pourcentage d’étourdissements réussis du premier coup, la fréquence des réunions dédiées à la protection animale au sein des établissements, le pourcentage de chute des animaux, ou encore le temps d’attente moyen des animaux en bouverie. Le fait de disposer d’un classement établi sur la base de ces informations constituerait une avancée pour les consommateurs, qui pourraient acheter leur viande en toute connaissance de cause.
M. le président Olivier Falorni. Indépendamment de l’intérêt qu’il présente, l’abattage mobile ne saurait répondre à la consommation de viande au niveau national, et soulève la question du respect des normes sanitaires et environnementales. Quelle est votre position sur ce point ?
Par ailleurs, un certain nombre d’ONG, dont CIWF, me semble-t-il, travaillent à la mise en place d’un label éthique animal national. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
M. William Dumas. Monsieur Marie, vous avez évoqué la compatibilité de l’étourdissement avec l’abattage rituel, un sujet qui m’intéresse particulièrement car j’ai dans ma circonscription un abattoir pratiquant 50 % d’abattage rituel, avec toutes les questions que cela soulève – je pense notamment à l’intervention de sacrificateurs non certifiés. Pouvez-vous développer votre propos sur ce point ?
M. Jean-Luc Bleunven. J’aimerais savoir s’il existe un outil de mesure de l’évolution de ce que pense la population des pratiques d’abattage et, d’une manière plus générale, si vous estimez que la conception des éleveurs et des consommateurs est en train d’évoluer.
M. Jacques Lamblin. Vous avez tous évoqué des méthodes d’étourdissement censées être compatibles avec l’abattage rituel, qu’il s’agisse de l’électronarcose ou du post-cut stun. Comment, selon vous, éviter la souffrance animale tout en préservant l’intérêt économique du marché que représente la viande rituelle ? S’il fallait choisir une méthode d’étourdissement, laquelle aurait votre préférence ?
Les anomalies constatées par L214 ont toutes eu lieu dans des abattoirs de petite taille, jamais dans les grands abattoirs industriels – ce qui peut être dû au fait qu’il a été plus facile à cette organisation de s’introduire dans les petits abattoirs. Selon vous, les risques de dérives sont-ils plus élevés dans les abattoirs de taille modeste ?
Mme Geneviève Gaillard. Alors que le premier rapport de l’OAV date de 2007, comment se fait-il que les problématiques liées à l’abattage commencent tout juste à être introduites dans la sphère publique en France ?
Monsieur Marie, vous nous avez dit avoir rencontré le recteur Boubakeur. J’aimerais savoir si vous avez également vu le grand rabbin Bruno Fiszon, et où en est la question de l’abattage rituel dans la religion juive.
Pouvez-vous me préciser si, de votre point de vue, les cadences élevées pratiquées dans les abattoirs peuvent avoir une incidence sur le fait que des mauvais traitements soient appliqués aux volailles, mais aussi aux autres animaux ?
Enfin, on voit se développer actuellement la demande d’abattage à la ferme : qu’en pensez-vous ?
M. Christophe Marie. J’ai rencontré à plusieurs reprises le docteur Fiszon, qui est vétérinaire, et chargé de la certification casher. Les choses ne sont pas réglées, mais une dizaine de pays de l’Union européenne ont déjà légiféré sur la question ; en ce moment même, une proposition législative relative à l’étourdissement est en cours d’examen devant le parlement flamand. Lorsque le ministre de l’agriculture du Danemark a pris ses fonctions en 2013, il a tout de suite adopté une obligation d’étourdissement des animaux, considérant que les droits des animaux sont prioritaires par rapport aux droits religieux. En 2008, dans le cadre d’un débat européen sur l’étiquetage et la possibilité de mentionner sur les produits que ceux-ci sont issus d’un abattage rituel, Michèle Alliot-Marie, alors ministre de l’intérieur, avait déclaré : « L’État doit protéger les traditions cultuelles : je pense à l’abattage rituel, que rien ne doit pouvoir remettre en question, même au nom de droits reconnus à la protection animale. » Depuis, aucune évolution n’est intervenue en France.
Le dialogue est ouvert avec les autorités du culte musulman, et des positions très claires ont été définies. Lorsque nous nous sommes rendus à la Grande Mosquée de Paris, l’imam, habilité à faire une lecture des textes, nous a confirmé qu’il n’y avait pas d’opposition à l’étourdissement dès lors que celui-ci était réversible – or, la réversibilité a été établie par un rapport de l’Académie vétérinaire de France. À l’issue de notre rencontre, M. Boubakeur a déclaré à Associated Press que rien ne s’opposait à l’étourdissement, mais qu’il ne lui revenait pas de légiférer sur la question.
Le cahier des charges halal de la mosquée d’Évry-Courcouronnes précise que « le calme des sujets à égorger, provoqué par l’électronarcose, est toléré, du moment que ce procédé ne provoque pas la mort » et que « toute viande bovine, ovine, volaille, lapine ayant été produite suivant le procédé cité ci-dessus pourra recevoir la certification halal par la mosquée d’Évry-Courcouronnes ».
Mis à part le cas de Lyon, où les choses sont un peu plus compliquées qu’ailleurs, d’une manière générale, on ne note pas de blocage en ce qui concerne le culte musulman. Plusieurs abattoirs pratiquant l’étourdissement préalable sont certifiés halal, dont le grand abattoir ovin de Sisteron. Il ressort des discussions que j’ai eues avec les responsables d’abattoirs que les difficultés qu’ils peuvent rencontrer résultent de l’absence d’encadrement au niveau réglementaire : ils pratiquent donc l’étourdissement dans le cadre d’accords passés avec les autorités cultuelles, mais prennent, ce faisant, le risque de provoquer des réactions de rejet de la part de certains consommateurs musulmans.
M. Jacques Lamblin. Des consommateurs ou des négociants ?
M. Christophe Marie. Peut-être les deux. En tout état de cause, cela montre bien la nécessité de légiférer sur la question. Un nombre croissant d’éleveurs, notamment ceux chez qui nous avons placé nos animaux en pension, nous confient qu’élevant leurs animaux avec le plus grand soin, ils aimeraient être sûrs de savoir dans quelles conditions ils vont être abattus, et regrettent d’avoir de moins en moins de choix, le nombre d’abattoirs étant en diminution.
M. Jacques Lamblin. Si je comprends bien, les abattoirs pratiquant l’abattage rituel préféreraient se voir imposer une disposition réglementaire rendant l’étourdissement obligatoire, afin de faciliter leurs relations avec leur clientèle ?
M. Christophe Marie. C’est bien ce que m’a dit le directeur de l’abattoir de Sisteron.
Dans de nombreux pays, la question de la compatibilité de l’étourdissement avec le rituel halal est réglée. En Égypte, une fatwa a confirmé l’absence d’incompatibilité. Au Royaume-Uni, l’étourdissement est généralisé, bien qu’il ne soit pas imposé de façon réglementaire. Je ne m’explique pas qu’en France aucune réponse définitive n’ait encore été apportée sur ce point.
M. Ghislain Zuccolo. Je vous ai apporté une brochure qui dresse la liste de tous les organismes certificateurs de la viande halal, en distinguant ceux qui acceptent l’étourdissement par choc électrique de ceux qui ne l’acceptent pas. Je suis tenté de dire que ceux qui acceptent l’étourdissement par choc électrique sont pénalisés, car les autres ont beau jeu de prétendre pratiquer le « vrai halal ». Il serait bon que les pouvoirs publics reprennent la main, en soutenant ceux qui font une lecture moderne des textes religieux.
Pour avoir vu des centaines de moutons se faire égorger à l’occasion de l’Aïd el-Kebir, je peux vous dire que si un abattage avec étourdissement se déroule généralement dans des conditions correctes, l’abattage rituel est, lui, tout à fait inacceptable, et je ne peux comprendre comment certaines personnes, parfois même des vétérinaires, se permettent d’affirmer que l’animal ne souffre pas !
M. Bleunven nous a demandé s’il existait un outil de mesure de la perception des pratiques d’abattage par la population. L’Union européenne a publié récemment un sondage Eurobaromètre portant sur la sensibilité des citoyens européens au bien-être animal, dont il ressort que les consommateurs y sont très sensibles – l’évolution des sondages effectués sur cette question montre que c’est de plus en plus le cas.
Nous sommes favorables à la vidéosurveillance, qui peut être un outil de contrôle, mais aussi de formation. À l’instar de ce qui se fait lors des stages d’entraînement à la prise de parole en public, par exemple, les images prises par les caméras peuvent être analysées par les personnes directement concernées, qui prennent ainsi plus facilement conscience des gestes à faire ou à éviter. Il conviendra simplement de définir certains aspects pratiques, notamment le temps durant lequel les images peuvent être conservées, ou qui peut y avoir accès.
Je pense que les abattoirs de grande taille ont peut-être plus de facilité à veiller au bien-être animal, dans la mesure où ils sont dotés d’un directeur « qualité » à plein temps et, parfois, d’un responsable uniquement chargé de la question du bien-être animal. Par ailleurs, les abattoirs de grande taille ont souvent de gros clients, qui ont des exigences particulières en matière de qualité. Le groupe Carrefour, avec lequel nous travaillons, fait auditer les abattoirs qui fournissent de la viande à sa filière Qualité Carrefour par un organisme certificateur, qui vérifie notamment que la réglementation relative au bien-être des animaux au moment de l’abattage est bien respectée.
Si la problématique de l’abattage n’a pas rejoint plus tôt la sphère publique, c’est parce qu’il est bien difficile aux associations de faire entendre leur voix sur ce point – nous sommes bien placés pour le dire, nous qui nous efforçons depuis vingt ans de dénoncer la situation. Force est de constater qu’il faut recourir à des caméras cachées et faire un scandale pour que les pouvoirs publics s’emparent enfin du dossier. Je sais que les éleveurs et les abatteurs s’indignent de ces pratiques et je les comprends – pour notre part, nous préférons nous en tenir au dialogue et à la coopération avec les organisations professionnelles –, mais il faut bien que les choses avancent. Le fait que cette commission d’enquête existe, et que cette table ronde soit organisée aujourd’hui, nous rassure quant à l’intérêt que portent les élus au bien-être animal.
Il est fort probable que, plus les cadences sont élevées, plus le bien-être animal s’en ressent. Ces cadences ne doivent pas constituer une variable d’ajustement dont les animaux font les frais : en d’autres termes, peut-être faudrait-il fixer des cadences au niveau européen, interdire par exemple que l’on abatte plus d’un certain nombre d’animaux à l’heure.
Pour ce qui est de l’abattage à la ferme, je crois qu’il est toléré pour certaines espèces dans le cadre de la consommation familiale. En principe, il est interdit de transporter un animal qui serait incapable de se déplacer par lui-même, ce qui nécessite de l’abattre à la ferme : c’est ce que l’on a appelé l’abattage « technique ». Pour des raisons sanitaires, les éleveurs doivent en principe recourir aux services d’un vétérinaire pour ce type d’abattage, mais chacun sait qu’ils ne le font pas toujours, en raison du coût. Un jour, j’ai reçu le témoignage d’un artisan qui, travaillant dans une ferme, a assisté avec horreur à la mise à mort d’une truie par l’injection d’une dose de pesticide : l’animal a mis trois jours à mourir ! Nous ne sommes pas opposés par principe à l’abattage à la ferme, mais cela ne doit se faire qu’à la condition que l’éleveur ait suivi une formation et dispose du matériel adéquat – par exemple, il n’est pas évident de mettre à mort un porc à la ferme, car cet animal possède une boîte crânienne très résistante, ce qui nécessite un outil et un savoir-faire spécifiques.
Mme Agathe Gignoux. La Confédération française de la boucherie a contacté la CIWF ainsi que l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA) afin de rédiger un label éthique – nous espérons que d’autres associations de protection animale y seront associées. Ce projet intéressant qui vise à préciser, dans le cadre d’un cahier des charges, les critères éthiques et de qualité de l’élevage jusqu’à la vente, est cependant très peu avancé et il faudra qu’il soit soutenu par l’ensemble des professionnels de la filière, jusqu’aux supermarchés.
Pour ce qui est de l’abattage mobile, s’il pose des problèmes d’ordre sanitaire, il existe cependant des solutions, tels les camions entièrement équipés. Ce système, très développé en Suède, permet de respecter les normes sanitaires et environnementales, puisqu’un vétérinaire inspecteur est présent. Son seul inconvénient est son coût, mais cela ne constitue pas un obstacle insurmontable à son développement, compte tenu de la demande des consommateurs.
S’agissant de la perception du bien-être animal, on assiste à une nette évolution de la perception des consommateurs européens. La France est un peu en retard de ce point de vue, mais les gens commencent à se demander comment ils peuvent continuer à consommer de la viande tout en s’assurant que le bien-être animal est respecté. Le sondage Eurobaromètre évoqué par Ghislain Zuccolo étant précis et effectué régulièrement, il est possible d’observer de manière très fine l’évolution des mentalités, pays par pays. L’une des questions posées aux consommateurs fait apparaître qu’ils sont disposés à payer la viande un peu plus cher si cela se fait au profit du bien-être animal, ce qui nous paraît très significatif.
M. Christophe Marie. On a observé la même chose pour les œufs : dès lors qu’a été imposé un étiquetage faisant apparaître le type d’élevage et permettant une meilleure traçabilité du produit, les consommateurs ont fait valoir leur préférence pour les œufs présentant les meilleures conditions de production.
M. Jacques Lamblin. Cela vaut-il aussi pour les volailles ?
Mme Agathe Gignoux. Non, nous parlons bien des œufs : en supermarché, la vente d’œufs de poules élevées hors cage est passée de 20 % à 50 % depuis la mise en place du nouvel étiquetage indiquant le mode d’élevage. Cet exemple justifie le souhait des associations que les consommateurs puissent connaître le mode d’abattage des animaux car, une fois informé, le consommateur fait de lui-même le choix du bien-être animal. Il s’agit d’un mécanisme de marché, qui ne révolutionne pas les choses du jour au lendemain, mais accompagne progressivement l’évolution des pratiques, de l’éleveur au consommateur.
Nous estimons évidemment que l’étourdissement préalable est une condition indispensable au bien-être animal.
Si les grands abattoirs sont effectivement dotés de cahiers des charges détaillant les modes opératoires, ce qui suppose en principe une plus grande exigence de qualité, des anomalies y sont régulièrement constatées en raison des cadences élevées d’abattage, en particulier en ce qui concerne les volailles.
M. Jacques Lamblin. Pour les volailles, il y a aussi le problème de la propreté des bains.
Mme Agathe Gignoux. Certes, mais les cadences restent le problème essentiel, et cela vaut pour tous les animaux. Des cadences trop élevées conduisent souvent à ce que l’on réduise le délai entre l’étourdissement et la mise à mort, ou entre la saignée et la découpe, notamment en abattage rituel. Dans ce domaine, nous pensons que la réglementation n’est pas suffisamment prise au sérieux, et se trouve donc fréquemment enfreinte.
Mme Caroline Brousseaud. Nous avons pour projet que l’abattage à la ferme fasse l’objet d’une phase de test dans un département donné. Certains camions-abattoirs, très bien conçus, offrent de bonnes garanties en matière sanitaire et de gestion des déchets. Cependant, la nécessité qu’un contrôle soit pratiqué ante mortem et post mortem par un vétérinaire des services de l’État continue de poser problème : peut-être faut-il envisager que les professionnels libéraux soient formés pour nous accompagner sur ce projet. Techniquement, il existe des caissons de saignée permettant d’étourdir et de saigner les animaux à la ferme ; la carcasse n’est pas travaillée sur place, mais transportée à l’abattoir à cette fin, ce qui nécessite qu’un abattoir se trouve à proximité de la ferme. Pour notre part, nous ne pensons pas que l’abattage à la ferme puisse être généralisé du fait des problèmes pratiques qu’il pose.
Pour ce qui est de la prise de conscience des citoyens, l’AFAAD mène des actions de sensibilisation sur les marchés, et je peux vous dire que nous assistons à une prise de conscience évidente. En tant que présidente de l’association, je reçois régulièrement des mails de personnes qui consomment bio et achètent aux petits producteurs locaux, mais déplorent le manque de transparence en ce qui concerne l’abattage et me demandent si je peux leur conseiller des abattoirs connus pour bien travailler – ce que je ne suis pas en mesure de faire, puisque nous ne disposons pas d’indicateurs du bien-être animal.
Je pense qu’il faut avoir le courage d’établir et de diffuser des comparatifs entre les abattoirs en fonction de critères relatifs à la prise en compte du bien-être animal, pour mettre fin à l’omerta qui règne actuellement dans ce secteur. Le critère de taille ne me paraît en rien déterminant : à mon avis, de petits abattoirs tenus par les éleveurs eux-mêmes peuvent effectuer un travail de grande qualité. Nous avons entrepris des démarches afin de rencontrer des abatteurs, mais les demandes que nous leur avons adressées n’ont pas encore abouti, ce qui peut s’expliquer par le fait que notre association est de création récente. En tout état de cause, nous nous intéressons en priorité aux abattoirs tenus par des éleveurs, notamment à celui de Bourgueil, en Indre-et-Loire, qui vient d’être modernisé, et à celui de Bourbon-l’Archambault, dans l’Allier.
Il est évident que plus les cadences sont élevées, plus il devient compliqué de respecter la réglementation ; de ce point de vue, l’idée consistant à déterminer des cadences normées au niveau européen me paraît intéressante.
Enfin, nous sommes favorables à l’étourdissement systématique, et insistons sur la nécessité de pratiquer un étourdissement post-jugulation sur les bovins, dont le sort nous préoccupe tout particulièrement.
M. Jean-Yves Caullet, rapporteur. On a parfois l’impression que le débat s’articule presque exclusivement autour de l’hypothèse où les choses se passent mal, entre le camp de ceux qui dénoncent cet état de fait, et le camp de ceux qui prétendent qu’il est impossible de faire autrement, et qu’après tout ce n’est pas si grave. Cette présentation explique en partie l’immobilisme constaté depuis des années. À l’inverse, vous avez évoqué une communication positive sur le sujet – lorsqu’elle est justifiée, évidemment. Le fait de montrer qu’il est possible que les choses se passent bien, comme vous le faites, vous paraît-il susceptible de débloquer la situation ?
Plusieurs opérateurs d’abattoirs nous ont fait part d’incertitudes au sujet du matériel qu’ils utilisent, quant à ses modalités d’usage ou de maintenance, par exemple. Avez-vous constaté la même chose ?
Que pensez-vous de la compétence des concepteurs d’abattoirs ? N’importe quelle personne ayant eu à mener un animal dans un bâtiment sait que les animaux n’aiment pas les angles droits : comment se fait-il qu’il ne soit toujours pas tenu compte, en 2016, de cette information à la fois simple et essentielle ?
Pour ce qui est de la vidéosurveillance, il me semble qu’elle ne serait pas utile seulement dans les postes d’abattage, mais aussi dans la bouverie et sur le quai de déchargement, où l’arrivée des animaux se fait parfois dans des conditions très difficiles.
En dépit de leurs spécificités, vos associations ont des objectifs communs. J’aimerais savoir si vous coordonnez certaines de vos actions et démarches, afin de bénéficier d’un effet de synergie.
Enfin, l’idée de constituer un classement des abattoirs ne se heurte-t-elle pas à un obstacle en matière de norme ? Ne pensez-vous pas que, si l’on commence à dire aux consommateurs qu’il existe des abattoirs classés une, deux ou trois étoiles, ils vont forcément se dire que la norme doit être fixée à trois étoiles ?
M. Pierre Morel-à-l’Huissier. Madame Brousseaud, vous avez dit que les contrôles étaient insuffisants et que la réglementation n’était pas toujours respectée. Selon vous, quelles améliorations pourrait-on apporter à celle-ci ?
M. Philippe Vitel. Si je suis favorable à l’établissement d’une norme universelle, je ne crois pas très judicieux d’établir un « guide Michelin » des abattoirs et de faire figurer ce classement sur les étiquettes des viandes : si l’on procédait ainsi, les établissements les moins cotés seraient rapidement rejetés par les consommateurs et rayés de la carte, ce qui n’est certainement pas ce à quoi nous voulons aboutir.
J’ai lu sur Internet que « l’islam qui refuse l’étourdissement préalable de l’animal contrevient donc à la déclaration universelle des droits de l’animal laquelle précise notamment que "si la mise à mort d’un animal est nécessaire, elle doit être instantanée, indolore et non génératrice d’angoisse" ». Si la Déclaration universelle des droits de l’animal, qui date de 1978, n’a aucune portée législative ou réglementaire, ne pourrait-elle servir de base à l’établissement d’une réglementation dont nous sommes nombreux à souhaiter la mise en œuvre ?
Les différents lanceurs d’alerte dénoncent depuis longtemps des situations inacceptables, mais peinent à se faire entendre. À votre avis, que devraient-ils changer à leur stratégie de communication pour que l’opinion publique prenne pleinement conscience des problèmes que pose l’abattage ?
Mme Laurence Abeille. Le scandale mis au jour par les vidéos de L214 a ceci de particulier qu’il n’a pas trait à la production d’appareils électroménagers ou d’automobiles, mais de viande pour la consommation humaine, ce qui implique l’élevage et la mise à mort d’animaux, qui sont des êtres sensibles. Or, bien que l’on s’intéresse depuis des années aux questions d’ordre sanitaire dans les abattoirs, la cause du bien-être animal n’a guère progressé. Il est frappant de constater que vous connaissez parfaitement le sujet que vous évoquez, sur lequel vous êtes en mesure de fournir des éléments précis et documentés, qu’il s’agisse de la sensibilité au bruit des animaux ou des précautions à prendre lors de leur transport et de leur manipulation – vos connaissances en la matière semblent bien plus étendues que celles des responsables d’abattoirs, si l’on en juge aux erreurs commises par ceux-ci. Seriez-vous disposés à entrer dans les comités d’éthique dont la création a été évoquée, et quel rôle pourriez-vous y jouer ?
Par ailleurs, avez-vous été informés d’une baisse de la consommation de viande depuis la révélation des scandales touchant certains abattoirs ? Considérez-vous que l’une des clés de l’amélioration du bien-être animal consisterait en une diminution de la consommation de viande ? Disposez-vous d’éléments permettant de déterminer quel est le coût représenté par l’abattage dans le prix final de la viande, et si un abattage réalisé dans de meilleures conditions – je pense notamment à l’abattage mobile – nécessiterait un coût beaucoup plus élevé ?
Enfin, j’aimerais savoir si Mme Brousseaud, qui travaille en co-construction avec certains éleveurs et abattoirs, a reçu des témoignages sur la maltraitance animale.
Mme Annick Le Loch. Je vous remercie pour vos contributions, qui comprennent des éléments techniques très intéressants. Pourriez-vous les compléter par des commentaires sur les conditions de travail des employés d’abattoirs ?
M. le rapporteur. À vous entendre, améliorer les choses n’aurait rien de très compliqué : la mise en œuvre de quelques mesures simples y suffirait. Dès lors, comment peut-on expliquer que des situations inacceptables se produisent, et que des employés se trouvent placés dans des situations personnelles extrêmement difficiles après que leurs agissements coupables ont été dévoilés ? Comment faire pour que ces personnes cessent d’être des fauteurs et des dissimulateurs de problèmes, et deviennent au contraire des moteurs pour améliorer la situation ?
Mme Caroline Brousseaud. Je n’ai jamais parlé d’établir un « Michelin » des abattoirs, mais simplement dit que nous défendions un étiquetage a minima de la méthode d’abattage, c’est-à-dire précisant si un étourdissement a été pratiqué. Cela dit, je ne suis pas sûre que ce seul critère suffise à garantir la bientraitance animale. Certains indicateurs complémentaires pourraient être portés à la connaissance du public, mais il n’est pas question de faire figurer le classement des abattoirs sur les étiquettes des viandes, ce qui risquerait effectivement de porter atteinte aux petits abattoirs, à l’existence desquels l’AFAAD tient particulièrement.
À ce jour, nous n’avons pas recueilli de témoignages d’employés d’abattoirs, mais plusieurs inspecteurs vétérinaires nous ont communiqué des éléments intéressants, dont j’ai fait une synthèse qui sera publiée prochainement. Les éleveurs sont très inquiets, et les quelques cas de maltraitance qu’ils nous ont rapportés avaient essentiellement trait au transport, notamment au chargement et au déchargement des animaux. La perte de confiance résultant des images qui ont été récemment diffusées explique en grande partie la volonté de développer l’abattage à la ferme, qui permet aux éleveurs de conserver un droit de regard sur la mise à mort de leurs animaux. Les petits éleveurs nous font souvent part d’un sentiment de détresse à l’idée de n’avoir aucune prise sur le sort réservé aux animaux qu’ils ont élevés et soignés dans la dignité et le respect, une fois que ceux-ci partent pour l’abattoir.
Nous estimons que la réglementation relative au bien-être animal est tout à fait correcte : le seul problème est de faire en sorte que les textes soient bien appliqués. Les vidéos réalisées par L214 montrent que certains étourdissements sont mal faits, mais aussi qu’il n’y a personne au poste d’abattage pour contrôler cette opération. Nous sommes favorables à la vidéosurveillance comme outil de formation et d’amélioration continue : la sanction seule ne suffira pas à ce que des cercles vertueux se constituent au sein des abattoirs, propageant une culture de la bientraitance animale parmi toutes les personnes concernées : employés, mais aussi inspecteurs vétérinaires.
Je ne suis pas en mesure de vous répondre au sujet de la souffrance au travail des personnels d’abattoirs, car c’est un dossier que nous n’avons pas ouvert. On sait que cette souffrance existe, puisque des travaux ont été menés sur ce point, et qu’il s’agit d’une problématique à prendre en compte si l’on souhaite améliorer le bien-être de l’animal : il ne faut jamais perdre de vue que les employés d’abattoirs font un travail que sans doute personne ici ne voudrait faire.
Mme Agathe Gignoux. Notre association ne dispose pas d’éléments particuliers sur la souffrance des employés d’abattoirs, mais nous considérons que, pour éviter à la fois un turnover excessif et ce qu’il est convenu d’appeler les « pétages de plombs », il est nécessaire de revaloriser ces professions, en termes de salaires, bien sûr, mais aussi en améliorant leur formation au bien-être animal : ce serait de nature à valoriser le rôle des personnes concernées au sein de l’abattoir comme dans la société, en les investissant de la fonction de garants du bien-être animal.
Les scandales sont malheureusement nécessaires pour alerter l’opinion. L’association CIWF préfère recourir à des modes d’action coopératifs, consistant à accompagner les professionnels. Cette méthode a fait ses preuves dans d’autres pays, notamment en matière d’élevage, et nous pensons qu’elle peut se révéler tout aussi efficace en matière d’abattage. Au Royaume-Uni, le mouvement qui a permis la mise en place généralisée de la vidéosurveillance est venu d’une demande des consommateurs, née dans les supermarchés avec le concours des associations, qui ont informé le grand public, mais aussi accompli un travail d’accompagnement des éleveurs et des abatteurs en faisant en sorte que des critères de bien-être animal soient progressivement pris en compte dans les pratiques. Pour notre part, nous avons fait le choix d’accompagner surtout les entreprises.
Nos associations respectives travaillent en commun sur certaines campagnes, chacune étant spécialisée dans une ou plusieurs thématiques. Ainsi, nous avons collaboré sur plusieurs sujets, qu’il s’agisse de l’étiquetage, des transports ou de l’abattage. Depuis septembre, nous avons écrit plusieurs lettres communes au ministre de l’agriculture et, en l’absence de réponse, au Premier ministre – onze associations étaient cosignataires. Enfin, la Fondation Brigitte Bardot, Welfarm et CIWF sont membres de l’organisation Eurogroup For Animals.
On constate effectivement une baisse de la consommation de viande à l’heure actuelle. En France, c’est surtout la consommation de viande rouge qui diminue, au profit de la viande de volaille qui pose elle aussi de sérieux problèmes – c’est pourquoi j’espère que cette question ne sera pas laissée de côté, en dépit de l’intitulé de votre Commission d’enquête. En effet, les volailles font très majoritairement l’objet d’un élevage intensif, et les conditions d’abattage sont loin d’être satisfaisantes. En tout état de cause, nous estimons que pour continuer à avoir une production durable, raisonnable et respectueuse du bien-être animal, il serait bon d’envisager une réduction de la consommation de viande. Nous ne plaidons pas pour le végétarisme, mais estimons indispensable de réduire la pression exercée sur la production – c’est valable pour l’élevage comme pour l’abattage.
M. Ghislain Zuccolo. Prendre en exemple les abattoirs où les choses se passent bien peut effectivement aider à mettre fin à l’immobilisme, et c’est la stratégie mise en œuvre par Welfarm. Nous nous efforçons d’avoir une communication positive, en attirant l’attention du public sur le fait qu’il existe, à côté de l’élevage intensif, d’autres formes d’élevage mettant en œuvre des méthodes plus respectueuses du bien-être animal.
En tant que représentant d’une association de protection animale, vous comprendrez qu’il me soit difficile, vis-à-vis de nos membres et donateurs, de reconnaître qu’il existe des abattoirs où les choses se passent bien. Nous assumons cependant le fait de travailler avec certains abatteurs qui, selon nous, font mieux que d’autres en matière de bien-être animal.
Pour ce qui est de la conception des abattoirs et du matériel utilisé, l’éthologie a malheureusement été le parent pauvre des sciences du bien-être animal en France : pendant longtemps, on s’est presque exclusivement référé à la science vétérinaire, à la neurophysiologie et à d’autres disciplines. Aux États-Unis, on s’inspire beaucoup des travaux de Temple Grandin, un docteur en sciences animales qui a aidé McDonald’s et d’autres grandes entreprises de l’agroalimentaire à concevoir des abattoirs. J’ai eu l’occasion de la rencontrer et d’évoquer avec elle les difficultés constatées sur les marchés aux bestiaux ; à ce sujet, elle m’a dit qu’il fallait sans cesse compter : compter le nombre de fois où les animaux chutent à un endroit donné, le nombre de beuglements, etc. – un nombre anormalement élevé signalant un problème à résoudre.
La bouverie est effectivement un endroit où il est intéressant de placer des caméras, car le déchargement des animaux est souvent problématique. En 2005, dans un abattoir de porcs, nous avons repéré un employé qui, resté seul le soir, faisait chuter les porcs d’une hauteur de plus d’un mètre en leur donnant des coups de pied. Il arrive aussi que des transporteurs apportant des animaux à l’abattoir le soir, après la fermeture, profitent d’être seuls pour se livrer à des exactions. La vidéosurveillance est de nature à décourager de tels agissements.
Comme l’a dit Agathe Gignoux, il nous arrive de travailler en commun : cela a été le cas lorsque nous avons adressé une lettre commune au ministre de l’agriculture.
Classer les abattoirs en fonction de la façon dont ils prennent en compte le bien-être animal me semble une bonne idée, même s’il est effectivement délicat d’en faire un outil de communication auprès des consommateurs : j’y vois plutôt un indicateur permettant aux abattoirs eux-mêmes de se positionner les uns par rapport aux autres, et les incitant à progresser s’ils sont mal classés.
Si la Déclaration universelle des droits de l’animal a été proclamée dans l’enceinte de l’UNESCO, ce n’est pas pour autant une déclaration officielle de cette institution. En revanche, je rappelle que nous célébrons cette année les quarante ans de la loi de 1976 sur la protection de la nature qui, pour la première fois, a défini l’animal comme un être sensible
– ce qui est maintenant inscrit dans le code rural à l’article L. 214-1, qui dispose que : « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. » Enfin, le traité d’Amsterdam stipule que l’Union européenne doit tenir compte du bien-être animal lorsqu’elle élabore une réglementation. Cela dit, j’estime qu’il serait opportun que la Déclaration universelle des droits de l’animal soit officiellement reconnue par l’UNESCO.
Nous sommes évidemment disposés à faire partie de comités d’éthique.
Pour ce qui est de la consommation de viande, nous avons constamment demandé aux consommateurs français de « consommer moins, mais mieux », en leur conseillant par exemple d’acheter des poulets fermiers, élevés en liberté. En 1997, ayant analysé les cahiers des charges des signes de qualité, à savoir les produits « Label Rouge » et ceux issus de l’agriculture biologique, nous avons déploré que cette dernière n’impose pas de normes supplémentaires en matière de transport et d’abattage des animaux. Si nous avions été entendus, peut-être l’agriculture bio ne serait-elle pas discréditée comme elle l’est aujourd’hui après la diffusion d’une vidéo montrant des pratiques inacceptables dans un abattoir certifié bio.
Mme Agathe Gignoux. Je précise que, sur ce point, le règlement bio est en cours de renégociation au niveau européen. Pour notre part, nous saisissons cette occasion pour souligner que des évolutions sont possibles et que la France devrait soutenir les initiatives en ce sens – ce n’est malheureusement pas le cas, et nous regrettons que le Gouvernement ne se montre pas plus ferme sur ce point.
M. le rapporteur. La carence que vous avez relevée en 1997 valait-elle pour l’ensemble des signes de qualité, ou seulement pour certains d’entre eux ?
M. Ghislain Zuccolo. En France, les seuls signes de qualité en dehors du Label rouge et du bio sont les appellations d’origine contrôlée (AOC) et les appellations d’origine protégée (AOP). Ayant également étudié le cahier des charges des AOC-AOP, nous avons pu constater qu’il est très minimaliste – et si le bureau des signes de qualité et de l’agriculture biologique de la direction des politiques économique et internationale (DPEI) du ministère de l’agriculture nous a assuré travailler à son amélioration, je ne pense pas qu’il soit prévu d’y intégrer des prescriptions relatives à l’abattage.
Mme Geneviève Gaillard. Le Parlement français refuse de reconnaître que les animaux sauvages sont des animaux sensibles : j’avais moi-même déposé une proposition en ce sens, qui a été rejetée. Actuellement, la seule dérogation concerne l’abattage des animaux sauvages d’élevage. Vous êtes-vous intéressés à cette question ?
M. Ghislain Zuccolo. Nous ne nous sommes pas intéressés à l’abattage du gibier d’élevage. Je crois que c’est le seul cas où des animaux d’élevage peuvent être abattus à la carabine, mais j’ignore dans quelles conditions. Sans doute devrions-nous nous rapprocher des professionnels concernés afin de faire progresser leurs pratiques.
Quant au coût de l’abattage, les abattoirs qui s’en sortent le mieux sont ceux qui ont intégré l’amont et l’aval, c’est-à-dire soit les abattoirs appartenant à des coopératives gérant à la fois l’élevage, l’abattage et la découpe, soit les abattoirs ayant contractualisé avec des éleveurs et pouvant donc compter sur un approvisionnement régulier. Je rappelle que la viande d’un animal stressé présente un pH trop bas, ce qui en fait une viande dite « pisseuse ». Bien prendre en compte le bien-être animal et veiller à ce qu’il ne soit pas trop stressé a donc un effet économique positif.
M. Christophe Marie. S’agissant des employés des abattoirs, je rappelle que ces personnes sont soumises à deux ou trois fois plus d’accidents du travail que la moyenne nationale, ce qui peut s’expliquer par les conditions de travail difficiles, mais aussi, sans doute, par une formation insuffisante. En la matière, toutes nos demandes visant à améliorer la conception des abattoirs, mais aussi la qualité du matériel, bénéficieront en premier lieu aux employés : cela évitera, par exemple, qu’un abatteur se trouve en situation de devoir assommer les agneaux au moyen d’un crochet. C’est la preuve que le bien-être animal et le bien-être humain – en l’occurrence celui des employés d’abattoirs – ne sont pas incompatibles, bien au contraire.
Pour ce qui est des animaux sauvages, nous sommes en présence d’une aberration du droit : un faisan tenu captif est un être sensible, mais redevient un animal sauvage dénué de sensibilité dès qu’on le sort de sa cage, et ne se voit donc plus appliquer les dispositions des articles L. 214-1 et suivants du code rural !
On parle de scandale, alors que les faits dénoncés par l’association L214 existent et sont connus de longue date. Si les choses ont pris une telle ampleur cette année, c’est peut-être parce que le public est mûr pour entendre la vérité, et aussi parce que le développement des réseaux sociaux a permis une plus grande mobilisation des consommateurs qui, de simples spectateurs, sont également devenus acteurs. Les élus ont eux aussi réagi, ce qui est plutôt rassurant. En 2012, un reportage du magazine télévisé Envoyé spécial, portant sur les abattoirs, avait déjà provoqué un scandale, et la journaliste Anne de Loisy avait sorti peu après un livre intitulé Bon appétit !
M. le président Olivier Falorni. Elle sera entendue très prochainement par notre commission d’enquête.
M. Christophe Marie. C’est une bonne idée, car elle a beaucoup de choses à dire. J’ai été très étonné, en écoutant l’audition du directeur général de l’alimentation à laquelle vous avez procédé le 4 mai dernier, de l’entendre dire que les choses étaient rentrées dans l’ordre après le scandale de 2012 et citer, au sujet du pourcentage d’animaux abattus sans étourdissement, des chiffres simplement collectés par la DGAL dans les registres des professionnels. J’ai du mal à croire que seuls 27 % des ovins feraient l’objet d’un abattage rituel, alors que le rapport de 2005 du Comité permanent de coordination des inspections (COPERCI), jamais publié parce que trop embarrassant, faisait état d’un chiffre de 80 %
– passé à 60 % quelques années plus tard. Une telle évolution paraît impossible, surtout si l’on tient compte du fait que les nouveaux abattoirs ne pratiquent pas l’abattage des ovins avec étourdissement. On relève la même incohérence en ce qui concerne les bovins, pour lesquels M. Dehaumont annonce un taux de 15 %, alors qu’un rapport commandé en 2011 par le ministère de l’agriculture faisait état de 40 %. Comme vous le voyez, il est difficile de progresser quand certains restent dans le déni. Le moment nous semble venu de mettre tout à plat afin de pouvoir avancer, comme de nombreux pays l’ont fait avant nous.
Nous sommes très fréquemment amenés à travailler avec d’autres associations sur des campagnes nationales de sensibilisation. Je vous rejoins pour considérer que, plutôt que d’établir un classement des abattoirs, il convient de fixer des normes universelles et de veiller à leur application par tous de la même manière.
Je fais partie de la Commission nationale de l’expérimentation animale, placée auprès des ministres chargés de la recherche et de l’agriculture, et du Comité national de réflexion éthique dans l’expérimentation animale, qui chapeaute les comités d’éthique nationaux : si l’existence de comités d’éthique dans ce domaine me paraît justifiée – car l’expérimentation animale donne régulièrement lieu à l’élaboration de protocoles qu’il faut à chaque fois étudier –, l’abattage est une pratique générale qui, à mon sens, justifierait plutôt la rédaction de guides de bonnes pratiques.
La consommation de viande a effectivement tendance à diminuer, ce dont on ne peut que se féliciter compte tenu du très fort impact environnemental de l’élevage, surtout dans les pays les moins développés, qui subissent de plein fouet les ravages de la déforestation visant à produire des céréales ou du soja destinés à l’élevage intensif.
Le coût de la viande est variable, mais relativement faible dans le circuit classique. Faire appel aux abattoirs mobiles aurait pour conséquence une augmentation du prix final. S’il est possible de recourir à ce mode d’abattage dans le cadre de l’Aïd el-Kebir, c’est en raison des gros volumes d’abattage réalisés en une seule fois. En revanche, pour pratiquer un abattage d’urgence dans une ferme, nous sommes plutôt favorables à l’intervention d’un vétérinaire afin de soulager et d’euthanasier l’animal, qui ne sera pas valorisé dans la chaîne de production.
M. le président Olivier Falorni. Je vais maintenant demander à chacun de nos invités de conclure en insistant sur un ou plusieurs points qui lui tiennent à cœur.
Mme Caroline Brousseaud. J’ai visionné toutes les auditions auxquelles vous avez procédé jusqu’à présent, et pu constater que l’on ne cesse de demander davantage de visibilité et de transparence. Pour que les acteurs de la société civile puissent échanger avec les abatteurs, je persiste à penser que la mise en place de comités d’éthique constituerait une solution intéressante : la question du bien-être animal aurait, me semble-t-il, vocation à être évoquée dans le cadre de ces instances de dialogue et de concertation. J’ai rédigé une note de travail à ce sujet à votre intention, et je pense que M. Laurent Lasne reviendra certainement sur ce point lorsque vous l’auditionnerez.
M. le rapporteur. Certaines installations classées, par exemple celles relatives au traitement des ordures ménagères, donnent lieu à la mise en place d’une commission locale d’inspection du site, destinée à donner un droit de regard à la population locale. Peut-être serait-ce également la solution pour améliorer la transparence sur ce qui se passe à l’intérieur des abattoirs.
Mme Caroline Brousseaud. C’est effectivement une idée intéressante.
M. Ghislain Zuccolo. Je voudrais également évoquer la situation des poules de réforme, c’est-à-dire des poules pondeuses arrivées en fin de carrière, si j’ose dire, qui sont envoyées à l’abattoir. Il nous est arrivé de suivre un camion partant de la Drôme pour se rendre en Belgique, alors que l’on sait que ces animaux très fragiles supportent mal les longs trajets.
Il est une autre pratique particulièrement choquante, celle consistant à transporter des bêtes sur le point de mettre bas. Il est permis de transporter des bovins jusque dans le dernier dixième de leur temps de gestation : or, lorsque la mère sur le point de vêler est abattue, son petit meurt étouffé, ce que je trouve horrible.
Mme Geneviève Gaillard. Scandaleux !
Mme Caroline Brousseaud. Une éleveuse me confiait récemment que, depuis un mois, tous les maquignons auxquels elle a affaire demandent systématiquement si les bêtes sont en gestation, ce qu’ils ne faisaient jamais auparavant : ils ont manifestement été informés que des contrôles allaient être effectués par le ministère.
M. Ghislain Zuccolo. Même s’il m’en coûte un peu compte tenu de mes convictions, je voudrais conclure en remerciant les nombreux employés des abattoirs qui sont attachés au bien-être animal et ont à cœur de bien faire les choses – on ne peut se contenter de dénoncer ceux qui agissent mal –, et en les encourageant à persévérer. Ces personnes sont déconsidérées par la société, qui s’est déchargée sur elles de la responsabilité d’abattre les animaux : il est si facile de manger son steak en ayant bonne conscience, quand on n’a pas eu à tuer l’animal dont on consomme la viande ! À mon sens, la profession d’abatteur devrait être revalorisée par l’amélioration de la formation initiale dispensée à ces professionnels, afin qu’ils soient fiers de leur métier et qu’ils aient à cœur de le faire dans les règles de l’art : cela contribuera, sans nul doute, à ce qu’ils aient envie de bien traiter les animaux.
Mme Agathe Gignoux. Je vous communiquerai un rapport de la Commission européenne faisant apparaître les coûts de l’abattage de volaille et détaillant ces coûts en fonction de la méthode d’étourdissement mise en œuvre : la lecture de ce document permet de constater que les meilleures méthodes d’étourdissement – je pense notamment au gaz – ne coûtent pas forcément plus cher que les autres.
Nous espérons que cette commission d’enquête va permettre d’aboutir à des évolutions. L’un des points essentiels est la vidéosurveillance, qui doit être mise en œuvre dans un cadre strict. Il faut également adopter de nouvelles réglementations en vue de faire évoluer nos pratiques d’abattage, comme l’ont déjà fait plusieurs de nos voisins européens.
M. Christophe Marie. Au cours des auditions précédentes, vous avez évoqué à plusieurs reprises la difficulté d’interpréter les signes de perte de conscience. Un rapport de l’INRA de décembre 2009, intitulé « Douleurs animales – Les identifier, les comprendre, les limiter chez les animaux d’élevage », indique que, chez les veaux et les bovins adultes, on observe une grande variabilité dans le délai précédant la perte de conscience, qui peut atteindre quatorze minutes. Il est évident qu’aucun abattoir ne va attendre pendant quatorze minutes qu’un bovin maintenu dans un piège de contention perde conscience : l’animal va donc agoniser en suspension jusqu’à l’atelier de découpe et de déshabillage. Une telle situation est inacceptable : l’étourdissement est vraiment le strict minimum à exiger, et nous y tenons beaucoup.
M. le président Olivier Falorni. Mesdames, messieurs, nous vous remercions pour vos interventions de très grande qualité.
La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.
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Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français
Réunion du mercredi 11 mai 2016 à 16 h 30
Présents. - Mme Laurence Abeille, M. Jean-Luc Bleunven, M. Jean-Yves Caullet, M. Guillaume Chevrollier, M. Yves Daniel, M. William Dumas, M. Olivier Falorni, Mme Geneviève Gaillard, M. Jacques Lamblin, Mme Annick Le Loch, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Hervé Pellois, M. Philippe Vitel
Excusé. - M. François Rochebloine, M. Arnaud Viala